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Un petit bout de nous !!
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26 mars 2015

Ce que nous apprend la disparition de Jacques Gasztowtt, éducateur, inhumé aujourd’hui.

Il y a lieu de réfléchir sur ce que nous avons vécu collectivement en apprenant la disparition brutale de notre collègue éducateur du Service Social de Protection de l’Enfance… Après avoir échangé avec des collègues, voici ce que j’en ai compris.

Sur les circonstances de ce drame, il me parait d’abord évident que notre collègue à fait preuve d’un  courage exceptionnel et qu’il aura mené sa mission jusqu’au bout. A savoir protéger coûte que coûte une personne victime de violences conjugales. Nous le savons, en France une femme décède tous les 3 jours victime de son conjoint. C’est une réalité dramatique qui est pire dans certains autres pays d’Europe. Toutefois notre pays est parmi les plus violents sur ce sujet. Jacques   Gasztowtt  a été tué parce qu’il a fait obstacle, qu’il s’est interposé entre une victime et son agresseur  qui était venu pour lui « régler son compte ». Alcoolisé, aveuglé par sa haine et sa volonté de détruire la personne avec qui il a vécu, l’éducateur a été celui qui l’empêchait d’accomplir son forfait. Cette femme est vivante probablement grâce à son intervention. Mais cela a coûté la vie à celui venu la protéger. C’est bien évidemment le plus lourd tribut qui soit. Il pourrait comme d’autres être décoré pour cet acte de bravoure.

Le 2ème élément  circule sous le manteau et dans les conversations. Nombreux sont les travailleurs sociaux qui s’accordent à estimer que certains magistrats (pas tous heureusement) ne prennent pas suffisamment en considération les rapports sociaux des professionnels et ont tendance à imposer des visites médiatisées « à tout prix » c’est à dire même si l’un des parents a déjà posé des actes de violences. Dans certaines situations, les professionnels estiment qu’il vaut mieux éviter à l’enfant la rencontre avec le parent quand celui ci va trop mal et qu’on le sait. Certains pères ou mères s’expriment avec une grande  violence destructrices en direction de l’autre parent, de l’enfant ou des services sociauxNous ne savons pas s’ils peuvent passer à l’acte même si parfois ils l’annoncent. Dans ces cas, il vaut mieux ne pas mettre en place de visites médiatisées. Les conditions d’une rencontre structurante ne sont pas réunies. Cela parait évident pour certains mais pas pour tous malheureusement. Et nous ne parlons pas non plus dans quel état de stress certaines assistantes familiales récupèrent les enfants. Certaines sont découragées et ont l’impression que tout leur travail  a été « mis en l’air » avec une seule visite. La stabilité et la tranquillité de l’enfant patiemment reconstruites au fil des semaines sont détruites en quelques heures. Certains allers – retours sont pathogènes, reconnaissons le.

Ces situations sont marginales mais elles peuvent devenir dramatiques comme ce fut le cas à Nantes la semaine dernière. Nous ne sommes pas là pour commenter ou disqualifier des décisions de justice, ni là pour accabler des parents qui  parfois peuvent aussi être victimes d’injustices, mais nous aimerions parfois que les magistrats entendent mieux les arguments des travailleurs sociaux et de leurs services lorsqu’il leur est expliqué pourquoi un enfant peut être en danger lors d’une visite médiatisée. Il faudrait éviter que certains magistrats entrent dans une forme de systématisme de leurs décisions. Chaque situation est à évaluer. Certes le travail du magistrat est difficile et délicat. C’est pourquoi il leur faut aussi du temps et des moyens pour peser leurs décisions qui s’imposent à tous.

Ceci dit, cette disparition nous consterne aussi pour plusieurs autres raisons 

La 1ère est parce que nous savons pertinemment, nous qui travaillons dans la protection de l’enfance et la protection des adultes vulnérables, que cela aurait pu nous arriver. Qui n’a pas vécu à un moment ou à un autre une situation très critique qui aurait pu dégénérer ? Nous sommes nombreux à avoir gardé en nous des histoires qui ne se racontent pas parce que nous avons le sentiment en étant menacé de façon directe, avoir failli dans notre travail. Cela peut paraître bizarre pour celles et ceux qui n’ont pas vécu ces stress professionnels, mais si la violence survient, nous avons bien trop souvent le sentiment que, si elle éclate, c’est parce que nous n’avons pas su la canaliser et que nous avons failli dans notre capacité à établir une relation bienveillante. De victimes nous pouvons alors devenir accusés. « qu’avez vous fait pour que cette personne soit violente avec vous ? » voilà ce qu’ont pu parfois pu s’entendre dire certains collègues par leur hiérarchie…  Bien sûr nous ne sommes pas parfait, nous pouvons involontairement blesser nos interlocuteurs en étant parfois un peu trop directs dans nos propos mais en tout cas dans notre grande majorité nous abhorrons la violence sous toutes ses formes. Et je pense que nous savons la gérer… Lorsque celle ci est gérable

En effet parfois et cela m’est arrivé comme à d’autres, la personne est dans un tel déchaînement avant même de vous avoir rencontré que vous ne pouvez quasiment rien faire. Notre limite est celle du « non raisonnable ». La personne n’entend rien, elle est en crise. C’est souvent sur un terrain psychiatrique que se déploie un tel comportement. Et dans ce cas il n’y a pas grand chose à faire si ce n’est se protéger et appeler selon la situation police secours ou le SAMU.

La 2ème raison de notre affliction est ce silence des médias face à un tel drame porté par du sens. Seuls les réseaux sociaux (c’est à dire vous avec Facebook et Twitter)  ainsi que la presse régionale se sont saisis de ce drame pour le faire connaitre et tenter d’en comprendre les causes. Dès que cela est traité au niveau national, nous entrons dans la catégorie des « faits divers ».

Mais comment se fait-il que lorsqu’un policier est tué dans l’exercice de son travail, il reçoit un hommage de la nation (ce qui est une bonne chose pour ces professionnels qui travaillent avec de réels risques) et que lorsqu’il s’agit d’un travailleur social, rien ou si peu ne se passe ? Certes Mme Taubira a proposé de venir, nos ministres de tutelles ont publié des communiqués de soutien, mais ne pensez vous pas qu’il aurait été normal qu’une ou plusieurs personnalités nationales soient présente  et s’imposent ce lundi au moment de l’hommage rendu par les professionnels sur le lieu de travail au SSPE ?Nous étions 500 et nous étions bien seuls entre nous.

Il y a là un cruel rappel à la réalité. Nos professions et nos institutions sont trop peu considérées. On voit bien qu’elles coûtent cher (combien de fois avons nous entendu ce message !), et que ce dont elles traitent ne donne pas une image très valorisante de notre société. Mais quand même, qu’avons nous fait pour cela ? ou que n’avons-nous pas fait ?

Comment se fait il qu’il y ait un si grand décalage entre ce qui se dit au Ministère des Affaires Sociales sur ces métiers qu’il faudrait réorganiser car trop peu en prise avec la demande sociétale, et le terrain qui croule sous la demande et les missions qui s’accumulent ? Je ne comprends pas.  Pourtant, il y a aussi de la bienveillance au Ministère et une volonté de valoriser notre travail, c’est là aussi le paradoxe. Le Conseil Supérieur de Travail Social est aussi un lieu ou se construit un savoir professionnel. Cette instance est trop peu reconnue et utilisée au regard de ce qu’elle pourrait être : un lieu d’échange apaisé, de réflexion constructive qui fait lien « entre le terrain et le sommet »Ainsi rappelons nous ce rapport de 2001 qui traite de la violence dans le champ social. Tout y est écrit ou presque sur ce sujet.  

Pour ma part j’ai bien compris le message qui a été asséné dans certains groupes de travail des Etats Généraux :  » ce ne sont pas les Etats Généraux des travailleurs sociaux, mais les Etats Généraux du travail social »  a t il été répété à plusieurs reprises En filigrane de ce message, j’en ai compris : « travailleurs sociaux, vous êtes des « exécutants » des politiques sociale, laissez les « grandes personnes », faire leur travail et penser sur ce ce que doivent être vos missions.  Je sais, en écrivant cela, que je caricature et force le trait mais que voulez vous, ça déborde  après ce que j’ai pu entendre…

Enfin je n’aborderais pas ici la question des moyens, des conditions de travail qui souvent se dégradent au point que l’on a l’impression que c’était tellement mieux par le passé.

Ne pas prendre en compte la qualité et le besoin de locaux adaptés à l’accueil et à l’accompagnement ni a la sécurité de chacun doit aussi nous questionner. Et ce ne sont pas les digicodes et les caméras de surveillance qui régleront le problème bien au contraire. Il y aurait là aussi beaucoup à comprendre de la reconnaissance de nos professions au regard des locaux qui nous sont alloués.

Au final, nous avons  multiplié les procédures, les démarche qualités, les protocoles de travail, les chartes de bonnes pratiques au point  que nous en avons oublié l’essentiel que m’a résumé une collègue cet après midi :  » Etre travailleur social, ce n’est pas une procédure, c’est une posture »  J’ai la faiblesse de penser qu’elle a bien raison.

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